La mouiche

Les anciens haut-perséphoniens pensaient que la réalité se formait au fur et à mesure de notre perception et qu’elle se désagrégeait ensuite. Ils distinguaient ainsi le chaos, la pré-réalité et la post-réalité, puis la réalité. Par le sens de la vue, la pré-réalite correspondait à ce qui dans le champ de vision est supérieur à 61°, donc un monde de formes floues et de couleurs indéfinissables, où l’on peut porter attention mais nulle vue claire. Cette étape de l’avènement ou de la disparition de l’étant portait le nom de “mouiche”. Le défaut d’une chose à devenir parfaite était ainsi causée par un mauvais passage, une incarnation gênée par une subsistance excessive du chaos. De nombreux rites et talismans permettaient de favoriser ce qu’ils nommaient “le Grand Passage”.

Le tableau suivant était ainsi strictement destiné à être contemplé au soixantième degré du champ visuel. Par un prodige d’habileté, photo a été prise dans la mouiche même, ce qui est très rarissime…

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L’huile, le goudron de pin, la cyprine étaient couramment utilisés dans les cérémonies et dans la vie courante. Il était ainsi de bon aloi, après une relation sexuelle, de tremper deux de ses doigts dans le vagin et de les passer ensuite sur un objet quelconque, en un geste caressant portant grand bonheur. Courant était-il encore d’être muni d’une manière de petit vaporisateur empli d’une huile légère que l’on pouvait asperger autours de soi. Le dépôt d’une noix de vaseline, de tout corps gras en général, en forme de signe perséphonien se pratiquait ainsi au long de la journée ou lorsque besoin s’en faisait sentir.

Une ioulfe ointive (il existe quatre catégories de ioulfes, en vérité: ointive, ignative, ornative et punitive), c’est le terme adéquat, correspond ainsi à une onction de la réalité. Un chant d’accompagnement était alors dit, constitué de râles, halètements, onomatopées, grognements, résidus de mots…

Terreur existait alors, symétriquement à la sortie de mouiche, de voir la réalité se dégrader dans son essence, craignant même qu’elle se mette à fondre, et nécessaire était-il de la protéger et de l’aider à persister. Pour cela, un premier rituel consistait à faire des séances de regardage, lesquelles, se faisant seul ou à plusieurs, devaient, dans un périmètre donné, scruter le maximum de détails possibles. L’infini du détail valait épreuve… Une autre méthode était d’utiliser des regardeuses ayant pour fonction, leur nom l’indiquant, de regarder sans cesse la réalité pour ne pas qu’elle s’échappe. On rapporte encore quelques sacrifices animaux sporadiques…

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Voici une regardeuse filmée depuis la couche d’un haut dignitaire perséphonien, le rendant certain de se réveiller dans le même monde avec la même identité:

Des maelstroms se formaient dans la mouiche, par le jeu des forces, où le chaos dévorait ses proies. La mort était ainsi perçue comme offrande: il était donc courant, sentant la mort approcher, d’aller se perdre en forêt et de s’y laisser pourrir, ou bien, pour ceux qui ne le pouvaient pas, d’y faire jeter sans ambages leur cadavre…

Les Tournoyeuses

Les bribes retrouvées par la suite: « … phénoménologie ondulante… »; « …venant de la réalité subliminale mystérieuse et … »; « … est nécessaire de danser sa vie… »; « …est-ce alors la représentation d’un temps cyclique … »; « …et d’un étirement des interstices de la perception … »; « …le thème de la fugacité des choses … »; « … et cette parole ancienne disant que si le temps tourne sur lui-même, il n’y aura jamais rien de plus qu’il n’y a déjà … »; « … que voit le temps, lorsqu’il me contemple ? ».